
Maître Nathalie Zoromé, avocate au Barreau de Paris, a été récompensée par la Fondation pour le droit continental pour sa place de lauréate de la promotion 2018 du Diplôme Interuniversitaire Juriste OHADA des Universités Panthéon-Assas et Paris 13. Pour la Fondation, elle revient aujourd’hui sur son parcours, et sa vision du droit de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) .
Fondation : Bonjour Nathalie, pour commencer, pourriez-vous nous dire quelques mots sur vous et votre parcours ?
Je suis de nationalité française, burkinabé et ivoirienne. Je suis avocate inscrite depuis plus de 15 ans au Barreau de Paris. Depuis 6 ans, je suis principalement basée en Afrique pour des raisons personnelles tout en conservant mon cabinet à Paris. Je me situe donc sur l’axe géographique Paris-Abidjan, ce qui me permet de développer une activité de droit international «franco-africain». Avant d’intégrer la profession d’avocat, j’ai été juriste d’entreprise, ce qui est une expérience intéressante pour découvrir les difficultés internes au monde de l’entreprise. J’ai également enseigné le droit des contrats dans des écoles de commerce.
Fondation : Vous êtes lauréate de la promotion 2018 du Diplôme Inter-Universitaire Juriste OHADA. Encore toutes nos félicitations ! Pourquoi avoir choisi de suivre cette formation ?
Lorsque je suis arrivée en Afrique, j’ai très vite compris qu’il y avait tout un pan du droit OHADA que je connaissais très peu. Pour les dossiers comportant du droit OHADA, je me je me reposais à chaque fois sur des confrères. Je me suis donc rendu compte que j’avais besoin de développer mes connaissances, notamment sur le fonctionnement des institutions et des actes uniformes. Dans ce contexte, j’ai découvert assez simplement le Diplôme Inter-Universitaire Juriste OHADA lors d’une recherche internet. J’ai apprécié le fait qu’il aborde tous les domaines du droit OHADA et j’ai donc décidé de suivre cette formation approfondie.
Fondation : Pouvez-vous nous citer un professeur, qui vous a particulièrement marquée? Et pourquoi ?
Je pense au Professeur Mustafa Mekki pour son cours de droit commercial général. Nous avons abordé avec lui le statut de l’entreprenant, que l’on retrouve en France sous le vocable auto-entrepreneur. Nous avons appris que ce statut proposait une forme juridique souple permettant de bénéficier en même temps de la protection de la norme et des avantages liés à un véritable statut juridique. Il est prévu que des mesures d’incitations fiscales soient prises au niveau national dans les Etats membres de l’OHADA afin d’inciter les acteurs économiques à opter pour ce régime. À ce jour, le Bénin, et dans une moindre mesure le Burkina Faso, ont déjà légiféré à ce sujet. Il était ainsi très intéressant d’étudier le parcours de ce concept depuis sa création jusqu’à sa mise en pratique. L’étape suivante est de réfléchir à ce qu’il faudrait faire pour que ce statut, encore trop méconnu, soit adopté par un plus grand nombre d’entrepreneurs. Il y a ainsi tout à gagner à faire connaître les différents outils juridiques offerts par les actes uniformes OHADA et surtout leurs avantages respectifs. Nous gagnerions tous à ce que les acteurs apprennent à utiliser ces outils car ils en feraient plus facilement usage pour le développement de leur activité.
Fondation : Considérez-vous que la zone OHADA est un modèle d’espace juridique qui devrait être exporté ? Je pense par exemple au projet de Code Européen des affaires, que nous portons avec l’Association Henri Capitant et qui vise à harmoniser le droit des affaires dans l’Union Européenne.
Assurément ! On se développe beaucoup plus vite avec des textes de dimension supranationale qui n’ont pas besoin de transposition et qui s’intègrent directement dans les ordres juridiques nationaux. Nous sommes ici dans une logique d’intégration essentielle pour accompagner le développement économique rapide du marché africain. Le droit OHADA renforce progressivement la sécurité juridique des échanges commerciaux dans cette zone. Concernant l’exportation de ce modèle, il y a bien sûr ce projet de Code Européen des Affaires, qui avance à grands pas. Je sais aussi qu’il y a un projet OHADAC pour les Caraïbes. Nous n’en entendons pas assez parler alors que cette initiative est particulièrement intéressante notamment pour sa dimension culturelle, à savoir le rapprochement entre les Caraïbes et l’Afrique. Économiquement, l’OHADAC aurait du sens et permettrait de multiplier les transactions commerciales dans la zone, avec l’OHADA ou encore avec la France. On retrouve des liens forts entre ces trois zones, et une histoire juridique commune, avec pour pierre angulaire le droit continental.
Fondation: Quels sont les défis futurs, ou peut-être même actuels, du droit et de l’espace OHADA ?
J’en vois deux prioritaires qui s’entremêlent : l’accessibilité et la diffusion. Le droit OHADA n’est aujourd’hui pas assez connu des acteurs économiques qui n’ont pas suffisamment entendu parler de ce droit OHADA ou méconnaissent ses implications concrètes sur leurs activités. Pour qu’ils puissent se saisir efficacement de ce droit, il faut travailler à le rendre plus accessible en expliquant pédagogiquement les avantages des instruments juridiques créés, à l’image du statut d’entreprenant, et en mettant en lumière la sécurisation juridique accordée par le droit OHADA. Un des défis futurs de l’OHADA sera également de renforcer la notoriété de sa Cour Commune de Justice et d’arbitrage (CCJA). Plus sa voix sera forte, plus l’OHADA deviendra incontournable. La CCJA n’a pas à rougir de la comparaison avec la Cour de Justice de l’Union Européenne. En moyenne, nous sommes sur un délai de deux ans pour avoir des décisions, ce qui est loin d’être critiquable au regard des délais européens. Outre l’accélération de ces délais qui renforcerait son attractivité, je pense plutôt que le défi à relever est avant tout du côté de l’accessibilité de sa jurisprudence et la mise en place d’outils numériques permettant de naviguer entre les décisions de la CCJA.
Fondation: Le droit OHADA devrait-il s’étendre, selon vous, à de nouveaux domaines ?
Oui bien sûr tout particulièrement dans mon domaine de compétences : le droit du travail !Aujourd’hui le débat est ouvert sur la question de la production par l’OHADA d’un acte uniforme du droit du travail. Mais tout comme en Europe, il est difficile d’unifier un domaine du droit qui est encore très sensible dans chacun des 17 États-membres, par exemple sur la question le salaire minimum. Ce qu’il faudrait, c’est un acte uniforme en droit du travail qui soit épuré de toutes les questions délicates touchant à la souveraineté des États dans cette matière. Par exemple, un contrat de travail OHADA me serait d’une grande utilité dans ma pratique courante du droit international du travail et pour les mutations interétatiques de travailleurs au sein de la zone OHADA. Un contrat de travail OHADA, c’est concret et intelligible pour n’importe quel acteur économique.
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