En raison des restrictions sanitaires, ces 9e Rencontres franco-chinoises se sont tenues dans un format 100% digital du 9 au 20 mai 2022, organisées par l’Ambassade de France en Chine, avec le concours de notre Fondation.
Pour cette édition, trois thématiques ont été retenues en lien avec les projets de réforme en Chine : deux séminaires sur la fiscalité de la propriété immobilière et sur la publicité foncière, un troisième séminaire sur la justice de proximité et un quatrième sur le rôle d’un comité national d’éthique dans l’élaboration des normes juridiques.
Des professionnels du droit ainsi que des représentants des administrations concernées ont pu partager leurs connaissances et leurs analyses, portant ainsi un regard croisé avec la Chine sur nos législations et pratiques en la matière.
1) Séminaire du 11 mai 2022 « Regards croisés sur la fiscalité immobilière”
Ce séminaire a été introduit par David Ambrosiano, Président du Conseil supérieur du notariat et Président du Centre sino-français de formation et d’échanges notariaux et juridiques à Shanghai, qui a évoqué les différentes missions des notaires en France, notamment dans son rôle de percepteur d’impôts.
En France, la propriété immobilière est taxée à l’occasion de son acquisition, de sa détention et de son transfert et fait intervenir différents acteurs.
En Chine, en revanche, les impôts existants s’apparentent davantage à des droits d’enregistrement sur les transactions ou à une imposition de certaines plus-values qu’à de véritables impôts fonciers liés à la détention patrimoniale. Néanmoins, l’idée de création d’une taxe foncière est envisagée depuis plusieurs années et des premières expérimentations se sont faites à partir de 2011 à Shanghai et Chongqing.
François Rollo, adjoint à la cheffe du bureau du cadastre de la Direction générale des Finances publiques (DGFIP), Anne Cécile Millet, de la sous-direction des missions foncières de la fiscalité du patrimoine et du bureau du cadastre (DGFIP), et Abderrahmane El Abied, chef du bureau de la fiscalité locale des professionnels de la DGFIP ont présenté les prérequis d’une taxe foncière et notamment l’importance de la détermination de la valeur locative cadastrale et la distinction nécessaire entre les locaux d’habitation, les locaux professionnels et les établissements industriels.
Zhu Daqi, Professeur de droit fiscal à l’Université de Renmin a présenté, quant à lui, l’évolution de la législation chinoise en matière de la fiscalité de la propriété immobilière et a précisé qu’en raison de divers facteurs tels que l’environnement économique international et national et la complexité de la réforme de la fiscalité immobilière elle-même, le projet de mise en place d’une taxe foncière était pour l’instant suspendu.
Puis, Jean-Etienne Chatelon, avocat, expert auprès du Conseil national des barreaux a présenté la taxation de l’immobilier d’entreprises en France, lors des acquisitions d’immeubles mais aussi en cours de détention de ces immeubles.
Olivier Vix, notaire, représentant le Conseil supérieur du notariat, a quant à lui, parlé du rôle du notaire dans la fiscalité immobilière en tant que collecteur de l’impôt, tiers de confiance des parties et acteur dans la lutte contre le blanchiment en matière de ventes immobilières.
Zhang Zheng, notaire et vice-directeur de l’Office notarial à Shanghai et délégué de l’Association des notaires de Chine, a expliqué que les notaires chinois à la différence des notaires français, ne percevaient pas directement les taxes foncières pour l’Etat, mais fournissaient un ensemble de conseils fiscaux aux citoyens.
Le replay de ce séminaire est disponible ici.
2) Séminaire du 12 mai 2022 “Publicité foncière : le système français vu de la Chine”
Le deuxième séminaire était consacré à la publicité foncière, rouage, souvent méconnu, mais essentiel de sécurisation des transactions immobilières et des financements bancaires octroyés.
Caroline Ginglinger, notaire, représentant le Conseil supérieur du notariat a évoqué le rôle du service de la publicité foncière qui permet de rendre opposable aux tiers les actes qui lui sont soumis et de régler les conflits entre deux acquéreurs successifs du même bien. Puis, elle a exposé l’intervention du notaire français qui participe à la sécurisation du système, la profession notariale fournissant 90% des actes soumis à la publicité.
Un juge du Livre foncier d’Alsace-Moselle, Pierre Jeannelle, a présenté le régime dérogatoire du Livre foncier en Alsace-Moselle lié à l’histoire de ces deux départements français. Les différences avec le système du reste de la France sont à la fois organisationnelles et juridiques car, le fait d’être inscrit au livre foncier, confère la qualité de propriétaire présumé du bien avec pour conséquence que c’est à celui qui conteste la propriété d’en apporter la preuve.
Enfin, le président de la commission chargée de la réforme de la publicité foncière, Laurent Aynès, Professeur de droit à l’Université Panthéon-Sorbonne et à l’Ecole des hautes études appliquées du droit, a exposé les conclusions d’un rapport proposant des évolutions substantielles, qui a été rendu au gouvernement en 2018 et qui fait l’objet d’un projet de loi en cours de discussion à l’Assemblée Nationale.
Côté chinois, Chen Peng, avocat et conseiller principal du cabinet d’avocats Beijing Jotai à Pékin, a expliqué que la publicité foncière est récente en Chine et est assurée par un système d’enregistrement des droits réels.
Puis, Tang Qian, notaire et vice-directeur de l’Office notarial Zhongxin à Pékin, a présenté le système chinois en cinq volets, en revenant sur les institutions compétentes, l’effet de la publicité foncière en Chine, les procédures d’inscription au registre de la publicité foncière, les conséquences en cas de violation des dispositions de la publicité foncière, et enfin, le lien entre la publicité foncière et les notaires.
Le replay du séminaire est disponible ici.
3) Séminaire du 17 mai 2022 “Pour une justice plus accessible et efficace : la justice de proximité”
On reproche souvent à la justice et aux juges d’être éloignés du justiciable, enfermés dans leur palais de justice et d’employer un langage technique incompréhensible pour le non-juriste.
En France, même si le concept est ancien et les justices de paix qui étaient déjà des juridictions de proximité ont été mises en place en 1790, ces dernières années une justice plus accessible, lisible et efficace est devenue une priorité gouvernementale.
Après que la vice-présidente du Conseil national des barreaux, Marie-Aimée Peyron, ait expliqué les différentes formes d’engagement des avocats dans la justice de proximité, une magistrate française, Lydie Reiss, vice-pocureure de la République de Bordeaux, a présenté les tribunaux de proximité crées par la loi du 23 mars 2019, en citant pour exemple les audiences foraines qui se tiennent hors du tribunal ou d’un bâtiment juridique officiel, dans une autre localité que celle où siège la juridiction afin d’être au plus près du justiciable ainsi que le rôle des juges des contentieux de la protection.
Un délégué du procureur de la République d’Amiens, Virginie Tryjefaczka, a expliqué le rôle des 850 délégués du procureur en France qui se voient confier environ 50% des mesures alternatives aux poursuites. Leur mission est en effet de mettre en œuvre, à la demande et sous le contrôle du parquet, les mesures alternatives aux poursuites pénales décidées par le procureur pour les infractions de faible gravité tels que les rappels à la loi, la médiation pénale, des mesures de réparation etc.
Puis, un conciliateur de justice, Jean-Paul Debeffe, a présenté ses missions d’auxiliaire de justice bénévole, son rôle étant de trouver une solution amiable à un différend entre une ou plusieurs parties, qu’elles aient ou non déjà saisi un juge. En revanche, la solution qu’il propose doit être homologuée par la justice. Il s’occupe essentiellement des litiges du quotidien (conflits de voisinage…) où il parvient dans 65% des dossiers à obtenir un accord amiable.
Enfin, le dernier intervenant français, Antoine Guillou, adjoint à la Mairie de Paris, a souligné le rôle fondamental des collectivités locales dans les politiques d’accès au droit. La mairie de Paris a ainsi deux grands types de lieux consacrés à la justice de proximité : tout d’abord les points d’accès au droit et les maisons de justice et du droit, mais aussi les mairies et les centres sociaux (où des consultations juridiques sont organisées). 185.000 personnes chaque année se rendent dans ces lieux pour s’adresser à des professionnels du droit.
Wang Bingying, juge d’un tribunal de premier niveau à Pékin a expliqué les mécanismes diversifiés de résolution des différends et les fonctions originales des juges itinérants qui vont dans les districts à la rencontre de la population pour les informer, donner des conférences et former les médiateurs. De même, il existe des « équipes de juges en référés », composées d’un juge, deux assistants, deux médiateurs et un greffier, qui sont chargés de la prévention des conflits et des différends très en amont. La médiation est possible tout au long de la procédure et si celle-ci aboutit et qu’un accord de médiation est signé, il est possible de faire valider cet accord par les juges afin de lui donner la force exécutoire, le délai de cette validation judiciaire étant de 30 jours.
Qu Zhongyu, conciliateur, a souligné qu’il était important que les conciliateurs aient une parfaite connaissance des quartiers et de leurs riverains et qu’ils soient dans l’empathie. Avec un taux de réussite de 50% et un délai de 25 jours en moyenne de traitement des dossiers, il se voit confier environ 900 cas par an. Depuis la crise sanitaire, le travail en ligne a été mis en place et il existe même des salles de médiation en ligne.
Wei Shuhua, procureur d’un tribunal de district à Pékin, a expliqué que le procureur avait un rôle important dans la médiation tout au long du dossier, rédigeant le projet de médiation et garantissant les droits des avocats (facilitation de la consultation des dossiers par les avocats sur une plateforme juridique). Les médiations peuvent intervenir tant dans les domaines pénal, civil et administratif que même maintenant pour les procès d’intérêt général.
Le replay du séminaire, en deux parties, est disponible ici et là.
4) Séminaire du 20 mai 2022 sur “Le rôle d’un comité national d’éthique dans l’élaboration des normes juridiques”
La Chine est en train de mettre en place un comité national d’éthique aux domaines de compétences élargies, les universités, les instituts de recherche et les établissements médicaux étant jusque-là les principaux acteurs de la réflexion éthique au niveau scientifique et technologique. La France de son côté, dispose depuis 1983 d’un comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) qui a pour vocation d’éclairer les progrès de la connaissance dans le domaine du vivant, stimuler la réflexion éthique sur les avancées scientifiques et soulever des enjeux de société nouveaux.
Dans ce contexte, il était donc intéressant d’échanger sur nos pratiques respectives et notamment sur le rôle d’un comité national d’éthique dans l’élaboration des normes juridiques.
Après des propos introductifs du Professeur Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), Madame Ingrid Callies, secrétaire générale du CCNE a exposé la genèse, le fonctionnement et le mode de saisine de cette institution indépendante dont le rôle est purement consultatif, celle-ci n’ayant pas de pouvoir décisionnel ou de sanction.
Feng Chujian, Directeur adjoint de l’Office pour la supervision des sciences et technologies et du contrôle qualité de la direction des sciences et technologies au sein du ministère de la Science et de la technologie a présenté le projet de gouvernance éthique de la science et de la technologie en Chine qui, auparavant, n’était qu’une question de morale et qui est devenue aujourd’hui une question de législation,
Le Professeur Zhai Xiaomei, membre du comité d’experts en éthique médicale de la commission nationale de la santé et membre du nouveau comité national d’éthique pour la science et la technologie, a présenté la création et l’évolution du comité d’experts en éthique médicale du ministère de la Santé de la République populaire de Chine qui a été officiellement créé en 2000. C’est depuis 2019 qu’a été instauré officiellement un comité national d’éthique des sciences et des technologies.
Le professeur Grégoire Moutel, professeur des universités et praticien hospitalier, Coordonnateur de la Conférence nationale des espaces de réflexion éthique régionaux (CNERER), a exposé l’opportunité d’un maillage territorial et associé à la recherche en France afin de rapprocher l’éthique au plus près des citoyens. Il a expliqué l’intérêt des Espaces de Réflexion Ethique Régionaux dans l’élaboration des politiques sanitaires nationales.
De son côté, le professeur Xie Zhiyong, doyen de la faculté de droit comparé de l’Université de science politique et de droit de Chine a énuméré les différents problèmes qui se posaient dans l’élaboration du statut du comité national d’éthique chinois, et notamment les discussions sur son indépendance, qui, pour être garantie doit donner lieu à une définition précise des instances de contrôle ainsi que les règles de saisine et les voies de recours
François Stasse, membre du CCNE et ancien conseiller d’Etat a présenté l’impact des avis et recommandations du CCNE sur les lois bioéthiques.
Le CCNE qui avait pour but au départ d’éclairer la société française (et non le législateur) sur les enjeux des nouvelles technologies dans le domaine de la santé a vu, après la première loi française de bioéthique en 1994, ses relations avec le législateur se structurer puisqu’il est désormais chargé de donner un avis avant toute révision de la loi. De même, depuis 2011, toute réforme de la politique de santé publique ayant des conséquences éthiques doit être précédée d’un débat public sous forme « d’états généraux » qui doivent être organisés par le CCNE.
Le professeur Qiu Renzong, professeur à l’Institut de Philosophie de l’Académie chinoise des sciences sociales a présenté les principes bioéthiques dans les lois et règlements en Chine, en insistant sur le statut moral de l’embryon qui certes ne bénéficie pas de droits complets mais qui ne peut faire l’objet de manipulations ou d’élimination que dans un délai maximal de 14 jours et uniquement dans un but thérapeutique.
Bénédicte Bévière-Boyer, maître de conférences à l’université Paris 8 a fait une présentation générale de l’éthique en droit de la santé en France, en insistant sur l’importance d’ouvrir l’éthique à l’international en raison des problématiques majeures en lien avec la santé de l’humanité.
Le professeur Shi Jiayou, professeur de droit privé à l’université Renmin de Pékin, a présenté ensuite les enjeux éthiques et juridiques dans l’édition du génome en Chine, et notamment les évolutions après l’incident des bébés génétiquement modifiés (2018). Il est aussi revenu sur les réglementations instaurées par les différentes instances chinoises pour prévenir toute dérive bioéthique.
Karine Lefeuvre et Régis Aubry, membres du CCNE, et rapporteurs de l’avis 136, ont présenté les principaux éléments développés dans cet avis concernant l’évolution des enjeux éthiques relatifs au consentement dans le soin en France. En effet, la notion de consentement a évolué ces dernières années sous l’effet de situations nouvelles engendrées par les progrès de la médecine et des techniques et par la confrontation des personnels du soin et du social à de nouvelles vulnérabilités.
Enfin, Peng Yaojin, chercheur, est revenu sur le contrôle éthique mis en place dans les recherches sur les cellules souches en Chine. Il a ainsi expliqué que les politiques de recherche sur les cellules souches en Chine sont fondées sur une compréhension culturelle qui accorde une protection spéciale aux embryons humains mais ne leur attribue pas un statut moral ou juridique équivalent à celui d’êtres humains pleinement développés. Il est nécessaire que celles-ci soient en adéquation avec les règles internationalement reconnues.
Le replay de ce séminaire est disponible ici.